Par SAMY KALLEL, coach de dirigeants formé à la psychosynthèse. Ancien responsable de formation chez Xerox, il a créé sa propre société de formation et a travaillé avec les grands groupes (Accor, Carrefour, Eram , Thalès, etc.)
« On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux » Saint-Exupéry.
Le constat
Dans notre monde instable, soumis aux changements si rapides et aux effets d’annonce, les dirigeants que j’accompagne éprouvent de plus en plus de difficultés à s’orienter, à garder leur ligne stratégique et le sens qu’ils lui donnent. Ces dirigeants se retrouvent alors exposés à un risque de crispation, d’enfermement dans leurs schémas de pensée et de cassure dans leurs relations avec leurs collaborateurs.
Les neurosciences confirment cette tendance puisqu’elles analysent que les individus sont bien plus souvent dans des stratégies de survie dictées par la peur que dans une dynamique de création.
Et si, justement, la solution était d’écouter son cœur, d’être là où il nous appelle, de le prendre comme compagnon de route ?
Les notions de cœur et d’être
Pourquoi dit-on qu’il est si important de mettre du cœur à l’ouvrage, du cœur dans son travail ?
Quand je parle de cœur, je fais référence à un « état d’être », un espace psychologique de réceptivité, car je crois que nous sommes soit dans le leadership du cœur, soi dans celui de la peur : autrement dit, soit ouverture et réceptivité à ce qui est, soit fermeture et contraction. La peur maintient un système de pensée fermé sur lui-même, or nous savons avec Einstein que l’on ne résout pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont créés.
L’état d’être du cœur ouvre à de nouvelles potentialités, motive, mobilise, crée de désir du nouveau, ce dont nous avons tous besoin. Dans la psychologie moderne, l’ouverture à nos potentialités a fait l’objet de recherches notamment de la part de Dr C.J. JUNG ((1975-1961), A. Maslow (1908-1970), Dr R. ASSAGIOLI (1888-1974).
Quand je parle d’état d’être, je m’intéresse à ce qui se passe à l’intérieur de soi, au ressenti, aux émotions, et j’insiste sur une qualité de présence : être ici et maintenant, goûter la saveur de la vie, l’accepter telle qu’elle est.
Le chemin
Gérer l’accélération et le changement suppose de savoir s’adapter, d’être agile. Agile mentalement, émotionnellement, lucide sur soi-même.
L’intention d’aller vers ce leadership du cœur est le point de départ d’un chemin qui mène vers l’amour et la liberté. Pour beaucoup de dirigeants avec qui j’échange, il y a une résistance à s’orienter dans cette démarche qu’ils trouvent difficile ou inefficace pour performer. C’est là que je développe trois points qui permettent de comprendre pourquoi l’écoute du cœur est essentielle sur ce chemin : la clairvoyance, le lien et la force.
- Tout d’abord, l’écoute du cœur augmente en moi la clairvoyance : capacité d’orientation, de justesse. En écoutant mon cœur, c’est-à-dire en allant vers ce qui me fait ressentir de la joie, je ne suis plus poussé par les « il faut », par toutes ces obligations guidées par la peur – de perdre mon travail, de ne pas être à la hauteur, d’être jugé par les autres…
Au contraire, en écoutant mon cœur, j’augmente en moi la possibilité de bien m’orienter, j’augmente la confiance en mes propres ressources et je vais naturellement là où est pour moi la meilleure place pour servir les autres.
- Car cette écoute est créatrice de lien : la dynamique du cœur amène à une toute autre attention à son environnement, une plus grande ouverture, une plus large écoute des autres. Un dirigeant développera une meilleure perception des besoins de ses clients ainsi qu’une authentique écoute de ses collaborateurs.
Il s’ensuit une meilleure réaction aux changements de l’environnement de travail, aussi nombreux soient-ils, ainsi que le développement d’une personnalité beaucoup plus attractive. Il est en effet connu et reconnu qu’une personne qui se sent à sa place, qui a confiance en ses ressources et qui est à l’écoute, est une personne avec laquelle il est agréable d’être et d’échanger. Dans ces rapports-là, la place n’est plus à la peur mais à la créativité.
- Enfin, j’insiste sur la force que procure cette écoute du cœur. La clairvoyance, c’est-à-dire savoir où l’on veut aller, la confiance en ses ressources, les liens que l’on crée dans une dynamique de joie et de créativité, tout cela donne la force pour traverser les difficultés.
C’est en ce sens que l’on dit d’une équipe qu’elle a du cœur. Et c’est avec ce cœur qu’elle peut gagner des championnats, quel que soit le niveau des équipes affrontées.
Le leadership du cœur
Les obstacles ne sont pas faits pour abattre mais pour être dépassés, le cœur étant le moyen de les transformer. Le leadership du cœur est une posture pour développer l’écoute du cœur au quotidien, notamment dans le monde professionnel.
En voici les principales caractéristiques à travers le mot C.O.E.U.R.
C comme Connexion
Le plus beau cadeau que je peux offrir à quelqu’un est la qualité de mon attention.
"Quand on a mission d'éveiller, on commence par faire sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement comme le premier saisissement sont pour soi." (René Char).
Est-ce que je reviens suffisamment vers moi ? Quelle est ma qualité de lien avec moi-même ? Ai-je conscience de ce que je vis, là, maintenant ?
Parce que les émotions sont contagieuses et que mes intentions se ressentent : sont-elles de crispation (leadership de la peur) ou de contribution (leadership du cœur) ? J’offrirai les unes ou les autres…
Il est possible de distinguer cinq états au cours de l’exécution d’une action : ils vont du « Beurk » au « waouh ! », en passant par l’absence de ressenti « bof », l’action obligée « il faut » et l’envie d’y aller « miam ».
La connexion, c’est donc savoir revenir vers soi et se situer dans cette échelle d’état d’être pour comprendre ce que l’on offre aux autres.
O comme Ouverture
Il s’agit ici d’être attentif à ceux qui nous entourent : qu’est-ce que je fais pour que les gens autour de moi se sentent à l’aise, pour qu’ils expriment ce qu’ils ressentent ?
On devine aisément l’importance pour les collaborateurs de pouvoir s’exprimer sans craindre le jugement, d’où la nécessité de mettre en place des rituels de feedback.
Cela suppose d’accepter de se laisser toucher dans sa vulnérabilité – laquelle n’est pas une faiblesse mais une flexibilité intérieure – d’accepter l’erreur ou l’imprévu.
C’est pourquoi l’ouverture vers la diversité, vers l’altérité est si essentielle dans ce travail pour devenir un leader du cœur.
Un proverbe arménien traduit bien cette idée : « si mon cœur est étroit, à quoi me sert que le monde soit si vaste ? » Je ne peux recevoir que si je suis ouvert, à l’écoute, en quête de renouveau et désireux de me laisser toucher sans chercher à contrôler.
E comme Engagement
Nous entrons ici dans l’énergie du courage.
Savoir s’engager, cela suppose d’abord d’être clair sur son oui et son non. Cette clarté à l’égard de soi et des autres est une essentielle. Songeons à la relation amoureuse et à la difficulté à être avec quelqu’un dont l’engagement est incertain…
Savoir s’engager, c’est ensuite apprendre à avancer, c’est-à-dire se faire confiance, faire un pas, entrer dans l’action : “Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas.” (Lao-Tseu).
Ce pas nous oblige enfin à apprendre à avancer malgré l’inconnu. Nous vivons dans un monde d’incertitudes et de changements trop rapides pour être anticipés avec précision et cela déplait à nos habitudes rationnelles. Il est donc nécessaire de réapprivoiser l’imprévu, de nous réconcilier avec l’inconnu.
N’oublions pas que « Celui qui possède un pourquoi qui lui tient de but peut vivre avec n’importe quel comment ? » (Hegel).
U comme Unique
" Chaque jour je commence ", affirmait saint Antoine du désert, ce grand ermite du IIIème siècle, qui inspira Bosch, Breughel autant que Flaubert.
Comment mettre de l’unique dans le quotidien ?
Comment ne pas mettre les gens ou les situations dans des cases, mais quitter ces habitudes qui enferment et figent la réalité, pour être à même de porter un regard neuf ?
C’est une vigilance nécessaire afin de ne pas entrer dans la banalisation de ce qui se passe : cela endort l’esprit.
Il s’agit au contraire d’inviter en nous le regard du débutant qui sait son besoin d’apprendre et celui de l’enfant qui ne cesse de s’émerveiller.
Parce que la vie ne se répète pas, comment demeurer sensible à sa beauté ? « Nul ne se baigne deux fois dans la même rivière. » (Héraclite).
Gardons à l’esprit que chaque instant est nouveau et riche de pépites qui peuvent nous faire grandir.
Retrouver chaque jour cet état d’esprit est nécessairement propice à la créativité puisqu’il amène toujours la possibilité de découvrir un nouvel aspect des choses.
R comme Rythme
Etre bon, c'est être en harmonie avec soi-même. La discorde, c'est être forcé à être en harmonie avec les autres.” (Oscar Wilde).
Chacun a un rythme qui lui permet de répondre à ses besoins, qu’il s’agisse d’alternance entre la vie professionnelle et la vie personnelle ou entre des temps d’activité et des temps de pause.
Il est un temps pour inspirer et un autre pour expirer.
Le bon rythme pour soi est celui qui permet de se respecter, de prendre soin de soi, de demeurer en harmonie avec soi-même et les autres.
Quelques mots encore, pour le plaisir
J’aimerais insister encore sur quatre points qui recoupent et élargissent ce qui a été dit jusque là.
- Prêter attention au principe de réalité : revenir vers soi parce que tout part de soi. Ce retour est nécessaire pour assumer la responsabilité de son propre vécu. Il est essentiel de lâcher la position de victime afin qu’il soit possible ensuite de sentir son propre choix.
- Intégrer le fait que « je vois ce que je crois ». Le vécu est en effet construit par le cerveau à partir des situations et des croyances personnelles. Apprendre à s’observer sans juger est une dynamique d’accueil qui prépare la dynamique du don. Nous risquons sinon de nous enfermer dans nos jugements erronés sur nous-mêmes.
- Se poser de bonnes questions, c’est-à-dire des questions qui ouvrent. De quoi suis je fier aujourd’hui ? Comment puis-je contribuer au bien-être de mon environnement ? Si tout était possible, qu’est ce qui me rendrait heureux ? Comment puis-je me réjouir de ce que je vis aujourd’hui ?…
- Relâcher le contrôle. Je ne maîtrise finalement que peu de choses… et l’humilité m’aide à faire confiance à l’intelligence du vivant. Ce n’est pas moi qui porte la vie mais la vie qui me porte !
Agissons en nous demandant comment la servir, comment nous synchroniser avec elle. Et le meilleur langage pour cela est d’écouter sans jugement ce qui vibre en nous…
Conclusion
« Gentillesse, honnêteté, compassion sont essentielles pour donner sens à la vie. Elles sont à l'origine d'un bonheur et d'une joie durables. Elles sont le fondement d'un bon cœur, le cœur de celui qui est animé du désir d'aider les autres » nous dit Piero Ferrucci, psychologue italien en Psychosynthèse, dans son très beau livre « l’art de la gentillesse ».
Éveiller son cœur, c’est se donner la possibilité d’être dans un état propice à la création et la croissance, au partage et à la collaboration, à l’ouverture à l’autre, à la bienveillance.
Il y a une intelligence du cœur qui ouvre à une compréhension plus profonde du monde, une intelligence qui ouvre à la transformation (regarder l’avenir) et non plus à la réassurance (aménager le passé).
Avoir la volonté de devenir serviteur de la vie et sentir notre contribution au cœur de la vie, tel est le projet du leadership du cœur !
Pour finir j’aimerais exprimer toute ma gratitude à Tan Nguyen, fondateur et directeur du Centre Source-Ecole Française de Psychosynthèse. C’est grâce à lui que j’ai découvert la Psychosynthèse, créée par le docteur Roberto Assagioli. Elle m’a permis de libérer la confiance en mon potentiel et d’accepter ma vulnérabilité comme une porte qui m’ouvre à qui je suis.
Samy Kallel (Mars 2017)